Vieilles angoisses d’amitié

Tu me bouffes la vie. Pièges mes euphories. Encages les certitudes. Les transformes en inquiétudes. Fais des joies des peurs irrationnelles. On dépasse toujours la limite de la raison, avec toi. Du raisonnable. Du vraisemblable. On fait dans le et si. Et s’il tenait plus à elle, et s’il tenait plus à eux, et s’il me détruisait à petit feu, et si je finissais par m’éteindre dans l’absence des bras que j’espérais étreindre. Et si. Et si. Et si. C’est un sacré rythme. Une espèce de mélodie qui vous parcourt le corps. Ça passe par toutes les articulations. Ça circule avec passion. Ça connaît. Tu connais. Tu sais où frapper. Où poser les mots. Tu sais ouvrir les bonnes portes, tirer sur les bonnes charnières. Tu connais. Tu connais parce que l’analyse du terrain, tu la pratiques depuis une bonne quinzaine d’années. C’est difficile de savoir ce que tu étais avant. Une sorte de silhouette qui danse dans le vent, qui attend que les doigts tremblent pour s’envelopper dans le tremblement, qui regarde les larmes couler pour les capturer sur le moment. Tu passes par là. Par toutes les peines déjà présentes. Et à partir de ça, tu creuses un sillon. Tu traverses le lobe oculaire, te glisses juste derrière. Tu descends sur le nerf optique, rejoint le cerveau et dans cet environnement fait d’innocence et de logique, tu t’installes. Tu te façonnes une grotte, y construis une maison. Au fil des mois, tu y bâtis les fondations. Tu fais en sorte que tout colle bien. Que ça ne risque pas de partir à la première brise du printemps. Tu prends le temps. Et les et si sont d’abord des pensées en l’air, que tu lances de travers. Tu n’interviens que de temps en temps, lorsque la tristesse est suffisamment grande. Tu appuies sur la glande de douleur. Retiens la dopamine. Apprends à générer la peur. Et plus les coups se multiplient, plus les couteaux appuient, plus ton ascension est rapide. Et finalement, te voilà. Solide. Sublime créature d’angoisse. Parasite de panique qui lance la mécanique. Qui contrôle les outils. Tu connais. Tu fais ça très bien.


Pensée de travers.
Doigts qui tremblent.
Tentative de prise de contrôle.
Abandon.
Corps qui se crispe.
Larmes qui défilent.
Pensées de travers.
Mâchoire qui se tend.
Cerveau inaccessible.
Cœur qui s’affole.
Mains qui s’empoignent.
Corps en alerte.
Attention, danger.

Tu sais sur quelles ficelles tirer. En dix ans, mon corps est devenu marionnette. Une poupée de chiffon que tu manies selon tes envies. Je n’ai jamais su comment t’arrêter. Comment inverser le processus. Comment refermer les portes que tu ouvres. Comment réparer les charnières que tu brises. Je ne suis pas bricoleur. On ne m’a jamais filé le manuel sur le contrôle de la terreur. Tu as sûrement dû le cacher quelque part. Là où il ne me viendra pas l’idée d’aller le récupérer. Là où tu sais que je n’ai pas envie d’aller. Tu connais le circuit. Les moindres recoins qui provoquent l’insomnie. Tu es reine d’un environnement qui ne m’appartient plus depuis si longtemps.
Il est là le problème. Dans l’incompréhension. Dans l’ignorance. Dans l’inattendu. Dans le qui suis-je, moi. Rien. Rien. Rien, sans toi. Monstre de crainte que j’ose désormais appeler ami. Parce que tu es celle qui me connaît le plus. Qui sait par quoi on est passé, à deux. On a toujours fonctionné comme ça. En couple.

Mais il est temps que ça s’arrête. Qu’on dise stop. Qu’on choisisse de fonctionner autrement. Qu’on se le dise correctement. Qu’on se regarde dans le miroir. Qu’on se voit sans la peur. Sans les et si. Sans les craintes qui envahissent nos nuits. Stop. Stop.

STOP.

Casse-toi ! Tu m’entends ? Non, ne va pas te cacher derrière une de tes portes solidement fixées. Tu me fais face et tu écoutes. Tu n’as rien à faire ici. Rien. Rien. Rien. Cet endroit, c’est le mien. Celui de mes joies, de mes peurs parfois, de mes amours, de mes sensations. Je veux ressentir autrement. Sentir qu’on peut exister différemment. Sans se poser tout un tas de questions avant d’agir. Sans craindre de déraper. Sans prévoir des coups qui n’arriveront pas. Sans imaginer mourir seul. Corps tétanisé. Cerveau paralysé.

Il n’y a plus rien. Plus personne. Juste un vide. Plus d’émotion. Ou de passion. Plus d’interdiction. Plus de ressenti. Rien que le vide que tu laisses lorsque tu disparais. Et je n’aime pas ça. Je suis dépendant de l’absence cruciale de sentiments que tu abandonnes lorsque tu comprends que là, maintenant, tu n’as plus ta place. Alors, je fais quoi, moi ?
On me dit d’avancer, mais avancer sans toi, j’ignore ce que ça va donner. Et je me déteste pour suivre ce chemin de pensées. Mais qui suis-je, sans toi, Anxiété ?

Timothée Cueff

writing & slam poetry • currently living in Ireland

https://timotheecueff.com
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