Lettre de jour

Nuit du 9 au 10 décembre 2020. #30

À toi qui lis,

Il n’est pas si tard – pas même passé minuit – au moment où je commence l’écriture de cette lettre.

Cette nuit ressemble à toutes les autres. Comme mes journées.

Se réveiller, se rendormir, ouvrir les yeux à nouveau, traîner au lit durant une bonne trentaine de minutes, finir par se lever, descendre, laisser la bouilloire bouillir, puis le thé infuser, ouvrir le calendrier de l’avent, manger le chocolat en se connectant aux réseaux sociaux, couper internet, allumer la télé, surveiller la sortie des chats, attendre, déjà l’heure du déjeuner, faire cuire des pâtes, les manger, fumer une première cigarette, errer, dormir un peu sur le canapé, checker les réseaux, fumer à nouveau pour passer le temps, regarder la télé pendant des heures, puis enfin le moment du 20h, écouter les actualités, servir le dîner avec un verre de vin, manger devant le film du soir, boire un deuxième verre, poser les doigts sur le clavier d’ordinateur, réfléchir, chercher à écrire, puis le faire vraiment, laisser couler les mots, se connecter, partager, attendre, fumer une dernière clope, quitter le salon, remonter dans la chambre, gagner une ou deux parties d’Isaac, éteindre la lumière, fermer les yeux, et quelque part, errer encore.

J’ai un peu honte de t’écrire tout ça, parce que c’est un portrait de moi que j’ai du mal à apprécier.
Je me dis que c’est seulement provisoire, une question de jours, vraiment – rien de permanent. Mais voilà tellement de soirs que le schéma se répète. Je fais pourtant des listes. Je me donne des idées, des choses à accomplir, des activités à faire, des sorties à prévoir. Souvent même, je les réalise. Presque trop vite, parce qu’après, quoi faire ? Où aller ? Qui voir ?

Trente nuits d’écriture, déjà. Chacune aux mêmes heures, dans ce même salon, avec ces mêmes odeurs. Chacune loin des rues, loin des créatifs.ves. Chacune en-dehors de toute réalité, et en même temps, complètement d’actualité. Chacune solitaire ; chacune un peu plus folle.

Je regarde mon calendrier et je vois, à regret, le temps s’écouler sans que je le vive.
Dans quelques heures, les dix premiers jours de décembre s’en seront allés.
Dix jours de perte de mémoire et de sensations.
J’ai beau relire mon journal, rien ne fait écho. Comme si l’ennui, la solitude et la hâte avaient déposé un long voile sur les soirs passés.
Alors, dis-moi, de quoi parlions-nous ? Qu’ai-je écrit ? T’ai-je dit, répété, encore et encore, que tu me manquais ? Ai-je été fou, ennuyeux, taré, complètement déboussolé ? Y a-t-il eu de la joie, de l’amour, quelques pensées pour toi ?

Dis-moi toute la tendresse que mes nuits t’ont révélée.
Car quelque part, j’ai le souvenir que, chaque soir, je t’ai tendrement aimé.

Tendrement nocturne,
Tim.

Timothée Cueff

writing & slam poetry • currently living in Ireland

https://timotheecueff.com
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